vendredi 29 mars 2024

L’ESSENTIEL L’information simple comme bonjour

Quels pollueurs ? Quels payeurs ?

En décembre 1999, le pétrolier Erika faisait naufrage au large des côtes de Bretagne. Cela avait provoqué une marée noire sans précédent. Après une longue enquête, le procès de cette affaire a commencé ce 12 février. Une quinzaine de personnes sont accusées de pollution, de mise en danger d’autrui et « d’abstention volontaire de combattre un sinistre ». On prévoit que ce procès va durer quatre mois. Il faudra dire qui est responsable de quoi. Ce ne sera pas facile.


Photo: Belga

Erika, qui est responsable ?

Le propriétaire (l’armateur) : le bateau Erika appartenait à une société de Malte, basée à Londres, appartenant à un Italien, mais contrôlée par 2 sociétés du Liberia…
La société qui a loué le bateau (l’affréteur) : une société des Bahamas qui agissait par l’intermédiaire d’une société suisse mais sous-louée par une filiale de Total, basée au Panama, représentée par une société britannique…
L’équipage du navire : confié à une société italienne qui a engagé un équipage et un capitaine indien.
L’autorisation de naviguer a été donnée par la société italienne Rina.
La cargaison est la propriété de Total qui l’a  vendue à une centrale thermique italienne.

Tout avait commencé le samedi 11 décembre 1999. Le pétrolier Erika quittait Dunkerque. Il transportait 37.000 tonnes de fioul lourd vers le port italien de Livourne. Le capitaine de l’Erika signale une avarie. Puis quelques heures plus tard, il affirme qu’elle est réparée. Les conditions météo sont très mauvaises. Le vent est de force 8 à 9. Il y a des creux de vagues de 6 mètres. Le dimanche 12 décembre, à 6 heures, le capitaine lance un appel de détresse. Le navire est à 37 km au sud de Penmarch. À 8 heures, le navire se casse en deux et libère 20.000 tonnes de fioul. La vingtaine de marins indiens à bord sont recueillis par hélicoptère. Tout est fait pour essayer de limiter la marée noire : on  pompe le fioul qui reste dans les cuves, on pose des barrages flottants. Mais malgré cela, les dégâts sont énormes.

Une énorme catastrophe

400 kms de côtes sont souillées, du Finistère à la Charente-Maritime. Entre 150.000 et 300.000 oiseaux sont morts. C’est dix fois plus que pour le naufrage de l’Amoco Cadiz. Les bénévoles ramasseront pendant des jours des déchets dont le poids total tourne autour des 250.000 tonnes. On estime que ce naufrage aura coûté au total environ un milliard d’euros. Il y a 230 millions d’euros réclamés par les victimes : les ostréiculteurs, les personnes qui produisent du sel de mer… Il y a aussi 400 millions d’euros pour la pollution réclamés par les régions côtières (Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes). Il faut ajouter les 154 millions dépensés par l’État français. Mais l’Etat les réclamera seulement après que les victimes aient été indemnisées). La compagnie Total a, elle, dépensé 200 millions d’euros pour le pompage des épaves de l’Erika, la dépollution et le traitement des déchets de cette marée noire. Mais Total a promis de se placer en dernier de la liste, s’il demande le remboursement de ces opérations.

Démêler les responsabilités

Qui est responsable de cette catastrophe? Qui va payer en fin de compte? Appliquera-t-on le principe du pollueur payeur ?

Jusqu’à présent, Total a pris en charge les opérations de pompage et de traitement des déchets. Le FIPOL, Fonds d’indemnisation des pollutions, et l’assureur du navire ont versé en décembre 2002, 53 millions d’euros. Le maximum de ce que peut verser le FIPOL est de 182 millions d’euros. Mais ces sommes sont bien peu par rapport aux dégâts.

Au procès, tous les acteurs du drame sont au banc des accusés. Le propriétaire italien du bateau, Giuseppe Savarese, comparaît avec son gestionnaire, Antonio Pollara. Il y a aussi la société italienne Rina qui a contrôlé l’état du bateau et Total, qui a affrété le bateau. Il y a le commandant de l’Erika, l’indien Karun Mathur. Il y a encore l’armateur, l’assureur et quatre responsables des secours à terre accusés d’avoir multiplié les erreurs, … Pas facile de s’y retrouver, ni de démêler les responsabilités dans ce montage financier compliqué. Par exemple, l’Erika battait pavillon maltais. Ce pavillon de complaisance permet d’échapper à certaines poursuites…

Le procès de l’Erika est aussi celui d’un système. Le Président du tribunal a rappelé qu’un rapport parlementaire de 2001 dit que la catastrophe de l’Erika est le "scandale des navires hors normes" qui "tire son origine d’une logique de profits".


Un aspect de cette affaire ne sera pas abordé au procès. En effet, on n’est pas tout à fait sûr que l’Erika ne transportait que du fioul lourd n° 2, comme cela a été déclaré officiellement. Lors de la marée noire, de nombreux bénévoles ont nettoyé les plages. Et ils ont demandé une analyse des déchets qu’ils ont enlevé pendant des jours entiers. D’après ces analyses, on pense que l’Erika transportait aussi des boues de forage ou des déchets de raffinerie. La cargaison serait alors des déchets industriels spéciaux (DIS). Des matières cancérigènes sont présentes dans ces déchets. 10 tonnes de produits cancérigènes se seraient ainsi retrouvés dans l’océan. De plus, ces déchets dangereux ne peuvent être vendus dans un autre pays.

Des journalistes d’investigation de la chaîne TV France 3, Willy Colin et Antoine Placier ont eux aussi enquêté. Ils pensent que Total a chargé sur l’Erika 4 000 tonnes d’un autre produit. Il aurait contourné les procédures habituelles.

Toujours selon ces journalistes, un des experts qui a participé à l’enquête judiciaire, affirme que l’analyse des déchets ne permettait pas d’affirmer à 100% que l’Erika transportait seulement du fioul lourd N°2.

 

2 réponses

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos

Par son existence même, le site de l’Essentiel mène des actions pour encourager la lisibilité des textes écrits. Les articles du site www. journal-essentiel.be sont écrits dans un langage accessible à tous, quelque soit son niveau de lecture de départ. Et les mots incontournables sont expliqués dans un glossaire qui accompagne l’article. Mais le site s’inscrit aussi dans un combat plus large.

Articles récents
deepfake
Kevin, citoyen "en ligne"
liste_produits_boycott-page001-92efd
Le boycott, une arme non-violente
égalité unesco_WB
Toutes pour un et une pour tous ?
Newsletter

Restez informé, inscrivez-vous à notre newsletter, c’est gratuit et utile !

Nous suivre