« Est-ce que je suis une pute ? Je ne sais pas. Ces mots sonnent durement à mon oreille. Je sais, en tout cas, que c’est mon revenu de survie. Ce n’est pas de l’argent facile, mais c’est de l’argent rapide. » Ainsi parle Morgane, une vendeuse de 43 ans. Elle dit : « J’ai connu une période où je ne pouvais même plus m’acheter un pain à la fin du mois. » Alors Morgane cède aux avances d’un commercial en produits cosmétiques. Il paie Morgane pour 1 à 2 rapports sexuels par semaine. Morgane est une prostituée alimentaire…
La pauvreté
Prostituées alimentaires est le titre du livre d’Alessandra D’Angelo. Dans ce livre-enquête, Alessandra D’Angelo explore « le nouveau visage de la prostitution ». Elle a interrogé des épouses, des mères, des étudiantes… Des femmes qui se prostituent, non pour arrondir les fins de mois, mais pour simplement pouvoir finir le mois. Car il n’y a pas de miracle. Très justement, Alessandra D’Angelo le souligne d’entrée : il y a de plus en plus de pauvres. Parmi ces pauvres, beaucoup de femmes qui vivent seules avec leurs enfants. Et d’autres qui vivent dans la peur de perdre leur emploi, de divorcer et de se retrouver à assumer seule financièrement.
Sexe comme loyer
Des hommes profitent de cette situation. Par exemple, le propriétaire d’Endza, une Arménienne qui vit seule avec ses 3 enfants à Bruxelles. Il lui demande un rapport sexuel comme caution du loyer d’un logement minable.
Il y a aussi les « sugar daddies », ces papas « gâteau » généreux avec des « sugar babies », des jeunes femmes souvent étudiantes qui n’arrivent pas à payer leurs études. Et des sites internet favorisent ce genre de rencontres.
Il y a encore Sania qui est, comme beaucoup d’autres, à la merci d’hommes violents. Cette esthéticienne de 36 ans, mère de 4 enfants, se prostitue de temps en temps dans des endroits sordides.
Sexe banalisé
C’est bien la pauvreté qui est à l’origine de cette « nouvelle » prostitution. Mais c’est aussi notre société où le sexe est banalisé, entre autres par internet, où les réseaux sociaux bouleversent les rapports sociaux et les rapports homme/femme. « Les rapports sexuels entre adultes consentants » comme on dit peuvent cacher une vente des corps. C’est ce que montre Alessandra D’Angelo après 6 ans d’enquête, de recueil de témoignages et de réflexions sur le sujet.
Le ton juste
Prostituées alimentaires n’est pas fait de longs récits ou de longues descriptions. Prostituées alimentaires, c’est 30 chapitres courts, de 3 ou 4 pages. Chaque chapitre est une facette de ce nouveau visage de la prostitution. Des chapitres au titre parlant comme : Mes « chairs » études; Malbouffe sexuelle; Divers contre pipe; Mariée, pute et soumise,… Le livre nous parle d’un sujet grave, mais le livre n’est ni lourd, ni pesant. Le sujet n’est pas non plus traité à la légère. Le livre a son juste poids et le ton juste. Pourquoi ?
Réfléchir « en douceur »
Prostituées alimentaires est un livre-enquête qui se lit facilement, une suite rapide de réalités et d’impressions. Mais ce n’est pas que cela. Prostituées alimentaires s’appuie aussi sur des travaux de scientifiques, de sociologues ou de philosophes qui ont réfléchi sur la sexualité et les rapports homme-femme. Mais cette partie théorique apparait dans le livre par petites touches, presque discrètement. Ce livre-enquête nous amène ainsi en douceur à réfléchir. Comme nous amènent à réfléchir les citations qui ouvrent chacun des 30 chapitres du livre. Alessandra D’Angelo cite, entre autres, le sociologue Pierre Bourdieu, l’écrivain Sans Antonio ou encore la philosophe, écrivaine et féministe Simone de Beauvoir qui a dit: « Une femme libre est le contraire d’une femme légère. » C’est dit.
Prostituées Alimentaires
Le nouveau visage de la prostitution
par Alessandra D’Angelo aux éditions La Boite à Pandore, prix 15,90 €