Quand on porte en soi une histoire, on ne peut que raconter,
livrer aux autres… et avoir un regard critique sur la société.
Avec cet œil bien aiguisé, Art Spiegelman, seul Prix Pulitzerprix américain très prestigieux qui récompense notamment les travaux de journalisme de
l’histoire mondiale de la BD, a signé de nombreuses planches. «Maus»,
l’a révélé au monde entier. Aujourd’hui, c’est
«A l’Ombre des Tours Mortes» qu’il évoque les
événements du 11 septembre 2001 à New-York.
Art Spiegelman
Art Spiegelman est né en février 1948 de parents
juifs, rescapés d’Auschwitz. Cette histoire a fortement influencé
sa vie et son œuvre. En 1972, un strip de 3 pages, intitulé “Maus”,
paraît dans Funny Animals. Ce strip est une ébauche de son oeuvre
majeure. Cinq ans plus tard, les premiers strips de Spiegelman sont rassemblés
dans un recueil grand format: “Breakdowns, From Maus to Now”. Et
dès l’année suivante, le scénariste dessinateur commence
à travailler sur ce qui va devenir la version longue de “Maus”.
Le premier chapitre, “A Survivor’s Tale”, sera publié
dans le second numéro de la revue Raw (en 1982), fondée deux ans
auparavant par Art Spiegelman et Françoise Mouly, son épouse.
Pantheon Books publie le premier volume de Maus en 1986, traduit en dix-huit
langues, puis le second volume en 1991. L’année suivante, l’œuvre
devient la première BD à obtenir le Prix Pulitzer, et connaît
un succès sans précédent. Dans ce témoignage, Art
Spiegelman est la plume qui traduit la mémoire des survivants. Il y raconte
de manière poignante le parcours vécu dans la chair et la tête
de son père, le parcours du génocide.
Mémoire du 11 septembre
Art Spiegelman
vit dans le bas de Manhattan. Le 11 septembre, il était devant le lycée
de sa fille, en train de la chercher, quand la première tour est tombée.
Un peu plus tard, la seconde tour est tombée juste derrière eux.
«J’étais certain que nous allions mourir… Mon épouse,
ma fille et moi entendons un grondement, comme une cataracte. Nous nous retournons,
l’air empeste la mort…». “A l’Ombre des Tours Mortes”
a été créé dans le journal allemand Die Zeit. Les
images hystériques de la fin d’un monde étaient impubliables
dans la presse américaine… Traduit de l’américain au français
et publié chez nous en septembre, l’album paraîtra aux USA
en pleine campagne présidentielle… Après le film de Michaël
Moore, c’est un autre pavé dans la mare des élections.
Décontenancé
à la fois par la violence terroriste et, ensuite, par la réaction
guerrière du gouvernement américain, Art Spiegelman a décidé
de reprendre le crayon, alors qu’il avait mis dix ans à essayer
de ne pas faire de la bande dessinée. “A l’Ombre des Tours
Mortes”, ce n’est pas un bouquin. Et le moins que l’on puisse
dire c’est qu’il ne s’agit pas non plus d’une BD «classique».
L’œuvre est en grand format, en carton dur comme pour donner encore
plus de poids au témoignage. Les cases y explosent en tous sens dans
les dix doubles planches, dans des styles différents. Elle reprend aux
comics américains des traits incisifs, des trames, des teintes particulières,
mais aussi beaucoup d’optimisme. “A l’Ombre des Tours Mortes”
a été modelée aux ciseaux, à la colle, au crayon,
à la plume, à la gomme, à l’ordinateur, à
la trame, au pinceau,… Livre-objet, il se lit à l’endroit, à
l’envers, dans les marges. On en sort forcément pour réfléchir
et remettre en question, à tout moment. Car ce n’est pas seulement
l’horreur du terrorisme, les centaines de morts, la bravoure des pompiers
et des sauveteurs qui sont abordés ici. C’est tout un contexteLes circonstances, les conditions, les explications d'un événement, d'un fait, d'une action
de remise en question sociale et culturelle qui est abordé. Caricaturedessin, image, texte, qui exagèrent un trait physique, le caractère, les habitudes de personnes dans le but de faire rire.
politique, pied de nez à la prétention humaine ou encore évocation
provocatrice de l’éphémère: les tours étaient
bâties pour défier le temps et l’histoire. Art Spiegelman
y raconte sa panique «post-11 septembre» à lui, laissant
entrevoir autant sa peur des terroristes que de son propre gouvernement. Il
dit «simplement » ce qu’il a ressenti devant les événements,
lançant les questions et le cadre du débat.
Catherine Tellier
Faites donc un petit tour par «Bons Baisers de New-York» pour
mieux connaître Art Spiegelman… Préfacé par Paul Auster,
l’ouvrage est à la fois un bouquin et une BD. Il fait la part belle
à l’œuvre de Spiegelman, tout en lui tirant le portrait. «Quadruple
menace unique en son genre, c’est un artiste qui dessine et peint, un
caméléon qui peut parodier et embellir tous les styles picturaux,
un écrivain qui s’exprime avec des phrases vivantes et acérées,
et un provocateur qui a un don pour l’humour le plus sauvage et le plus
ravageur. Mêlez tous ces talents, mettez-les au service d’une profonde
conscience politique et vous aurez un homme capable de marquer fortement le
monde » (extrait de la préface)
“Bons Baisers de New-York” est un trait d’union entre “A
l’Ombre des Tours Mortes” et “Maus”, entre les articles
des journaux et les reportages ou interview radiophoniques et télévisés.
Ce superbe livre largement illustré et d’une grande qualité
d’impression dépeint largement aussi le contexte dans lequel Spiegelman
vit, travaille, respire et évolue. Il offre de larges pages ouvertes
sur le New Yorker, pour lequel Spiegelman a travaillé pendant dix ans.
CaT
Bons Baisers de New-York, Art Spiegelman
– Préface de Paul Auster
Ed. Flammarion, Août 2004
A l’ombre des Tours Mortes, Art Spiegelman
Ed. Casterman, Août 2004