vendredi 29 mars 2024

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Cours d’alpha, du « Tais-toi! » au « C’est à toi ! »

Ils sont une petite centaine à la gare de Charleroi. « Ils » ? Des formatrices et des formateurs en alphabétisation. Mais surtout des stagiaires, des apprenants. Des femmes et des hommes, adultes en formation qui espèrent mieux maîtriser la lecture, l’écriture, les maths. Ils partent à Bruxelles pour manifester contre la politique ou plutôt le manque de politique d’alphabétisation. Ce sont évidemment, le manque de temps et le manque de moyens qui empêchent une vraie formation pour toutes et tous. Mais aussi et peut-être surtout, pour l’apprenant, il y a la désagréable impression d’être traité comme un robot. Comme quelque chose et non quelqu’un. Un objet que l’on formate. Pas un être humain que l’on forme.
Les apprenants ont les difficultés de l’adulte sans emploi. Des problèmes financiers, parfois de logement, souvent de garde d’enfant. Et les formatrices et les formateurs savent, par expérience, qu’un adulte n’apprend pas ou ne réapprend pas la langue d’un simple claquement de doigts. Ils savent, par expérience, qu’il faut du temps et qu’un manuel scolaire ne suffit pas. Des manuels ? Ils en utilisent sans doute mais ils ont aussi d’autres pratiques. Pour que les choses apprises ne s’oublient pas. Pour donner plus de savoirs, pour donner plus de pouvoirs aux apprenants dans la recherche d’un emploi, dans leur vie sociale, dans leurs actes de citoyen. Dans le train vers Bruxelles, trois formateurs nous ont raconté leur travail.

Le B.A.BA

Fabienne est logopède et licenciée en communication. Elle parle vite et ses phrases fusent. Mais elle peut aussi s’arrêter et elle parle alors sur le ton sec de la professionnelle ou le ton sévère du juge qui prononce une sentence. Fabienne donne cours aux personnes très débutantes. Parfois, certaines ne savent ni lire ni écrire des syllabes simples comme « ba » ou « po ». Pourquoi ? Parce que certaines de ces personnes ne sont presque pas allées à l’école. D’autres sont alphabétisées mais dans une autre langue et ne savent ni lire ni écrire le français. Mais il y a aussi des personnes illettrées. C’est-à-dire des personnes qui ont fait l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. Et elles ne savent rien lire et rien écrire ou si peu. «On peut se poser la question : à quoi sert l’école ? » dit Fabienne (avec le ton du juge).
Puis, j’entends la Fabienne professionnelle. Il y a deux formatrices qui interviennent dans ce groupe. Elles se complètent. L’une travaille de manière globale. Elle apprend la lecture de mots courants comme les noms de la semaine. Elle fait aussi du renforcement de la méthode syllabique développée par l’autre, c’est-à-dire Fabienne. Globale ? Syllabique ? Voilà donc, les deux méthodes de lecture qui sont ici utilisées. Comme d’ailleurs aujourd’hui dans la plupart des écoles. Ben oui et non, d’après ce que j’ai compris. D’ailleurs, n’allez pas dire à Fabienne qu’elle fait de la lecture syllabique. Elle fait de la «conscience phonologique». Ce n’est pas une méthode de lecture. Mais c’est nécessaire pour savoir lire. Pour le dire vite, avoir la conscience phonologique, c’est reconnaître des sons, savoir les découper, les manipuler. Un type d’exercice ? L’inversion ou la suppression des syllabes. Fabienne dit « paro », l’apprenant doit répondre « ropa ». « En fait, c’est très gai, cela se fait beaucoup par le jeu », dit Fabienne. Et à nouveau, ses phrases fusent…

Parcours de lecture

Jean-Luc est formateur en « Alpha fort », dit-il d’un air mi-sérieux mi-amusé, un air qui ne le quittera pas durant toute l’interview. Ce qu’il fait d’original ? Oh, rien de très original, répond-il: un parcours de lecture. Il prend un roman. Il lit certains passages aux apprenants, les apprenants en lisent d’autres. On raccroche au vocabulaire, à la conjugaison, vus au cours de « français » au sens strict. On approche aussi la langue comme plaisir, la langue faite pour raconter une histoire, pour faire de la fiction.
Et puis, il décloisonne, comme il dit. Par exemple, le semestre durant lequel il travaille le roman Les petits enfants du siècle, il demande au formateur de « vie sociale » d’aborder les questions politiques, économiques ou de société. Les stagiaires apprennent alors l’histoire de l’immigration, du logement social, des quartiers ghettos. Ils voient ce qui est le même et ce qui est différent entre les banlieues françaises et la périphérie des villes en Belgique. Ce qu’il faudrait changer. Bref, dans ce parcours de lecture, on raccroche aux règles de la langue, on approche son plaisir et on fait des reproches à celles et ceux qui ont le pouvoir et qui créent ou entretiennent les inégalités. Un parcours du livre, des messages qu’on délivre,…

Du « tais-toi » au « c’est à toi »

Isabelle veut donner la parole aux gens à qui on dit souvent : « Tais-Toi! ». Isabelle fait donc de la radio avec des apprenants en alphabétisation. C’est Radio Alpha qui existe depuis début 2013. Radio Alpha fait de nouvelles émissions tous les mois. Le sujet des émissions ? C’est souvent l’actualité qui décide et on choisit le sujet après discussion dans le groupe. Ensuite ? Le groupe cherche les infos. Et puis ? Et puis on imagine comment ça se passe. Il lit vite ? Ben… il fera le dossier de presse. Elle est bonne à l’écrit ? Ben… elle fera des résumés. Elle est à l’aise quand elle parle ? Ben… elle sera au micro. Radio Alpha ? Pas si extraordinaire, au fond. Même boulot que dans une autre radio. Ils sont une dizaine, ils font une réunion de rédaction. Même boulot que dans une autre radio: ils se divisent le travail. Qui à l’écrit ? Qui à l’oral ? Et ça roule les cocos. Finalement, l’émission est dans la boîte.
Même boulot que dans une autre radio. Et les mêmes émotions, comme quand le groupe a interviewé une ministre. Bon évidemment, c’est la formatrice, Isabelle, qui est la rédactrice en chef et l’ingénieure du son. Et on se dit qu’elle doit bien jouer le rôle de chef. Comme dans n’importe quelle une autre radio…
Derrière sa table de mixage, on imagine Isabelle dire à l’apprenant qui est devant le micro : « Vas-y, c’est à toi ! » Passer ainsi la parole. Libérer la parole. Passer de l’éternel « Tais-toi ! » au ferme mais encourageant : « C’est à toi ! ». Et ça, c’est pas le même boulot que dans une autre radio !

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