« Depuis quelques années, je vois la campagne qu’on essaie de faire en France contre eux, avec une surprise et un dégoût de plus en plus forts. Cela m’a l’air d’une monstruosité. J’entends une chose en dehors de tout bon sens, de toute vérité et de toute justice. Une chose sotte et aveugle qui nous fait reculer des siècles en arrière. Une chose enfin qui aboutirait à l’abominable, une persécution religieuse, ensanglantant toutes les patries. Et je veux le dire. »
De qui parle-t-on quand on dit « eux » ? Des juifs… Qui a écrit cela ? Emile Zola, un des plus grands écrivains français. Il a écrit des romans : Germinal, L’Assommoir, … Zola écrit ce petit texte en 1896. Son texte s’appelle Pour les Juifs. A l’époque, beaucoup de gens accusent les juifs d’être les responsables des maux de la société. Et Zola veut défendre les juifs.
En 2014, un journaliste, Edwy Plenel écrit un petit livre qui s’appelle Pour les musulmans. Car pour lui, il suffit de remplacer, dans le texte de Zola, le mot « juifs» par « musulmans » et cela décrit la société d’aujourd’hui. Ce ne sont plus les juifs qui sont attaqués en France. Ce sont les musulmans. Et Plenel veut les défendre. Il lance un cri d’alarme.
Une guerre contre nous-mêmes
Pour Edwy Plenel quand on parle du « problème de l’islam », du « problème du foulard », du « problème de l’islam extrémiste ». On parle en réalité de l’immigration et de la peur que les immigrés nous envahissent. On parle en réalité des immigrés qui profitent de nos lois démocratiques en faisant du regroupement familial, en portant le foulard dans la rue. Avec ce discours, on fait de l’étranger un adversaire et avec ce discours, on nous met en guerre contre les étrangers. Mais aussi, comme le dit Plenel : « Ce discours nous met en guerre contre nous-mêmes, contre une partie de notre histoire, de notre héritage, de notre peuple. »
Ceux qui attaquent les musulmans, ceux qui s’en méfient, citent souvent une grande loi française de 1905. En 1905, la religion catholique domine la société et veut lui imposer ses règles. Les députés français votent la loi sur la laïcité. Cette loi sépare l’Eglise et l’Etat. La religion ne se mêle pas de la vie de l’Etat et de la vie publique. L’Etat reconnaît et respecte les croyances individuelles.
Aujourd’hui ceux qui veulent interdire, ou qui se méfient du foulard, le font souvent au nom de la laïcité. Mais Plenel précise ce qu’est la loi sur la laïcité de 1905 : ce n’est pas une loi qui interdit, c’est une loi qui libère. Elle libère les individus qui ne se disputent plus sur la religion. Les individus peuvent alors s’attaquer aux vrais problèmes et se battre pour des droits sociaux et une vraie démocratie.
Racisme bien-pensantconservateur, qui se soumet aux idées dominantes
Il y a aussi ceux qui attaquent les musulmans, ceux qui s’en méfient, en disant que « la religion, c’est l’opium du peuple ». En disant cela, ils reprennent une phrase du révolutionnaire Karl Marx. Une phrase qui dit que la religion est une drogue. Les croyants veulent échapper à la réalité. Mais Marx ne dit pas qu’il faut faire la guerre aux croyants. Au contraire, Marx nous lance un appel pour voir dans cette croyance, toutes les souffrances sociales qu’elle montre.
Pour Plenel, celles et ceux qui mettent en garde contre l’islam sont souvent des racistes. Mais d’un racisme caché, un racisme bienséantqui semble convenable, correct, bien-pensant. Quand on met en garde et qu’on attaque le foulard, le manger Halal, la mosquée, on veut assimiler l’Autre. On veut le nier. Et ce n’est pas nouveau. Quand la France dominait une partie de l’Afrique, elle niait les peuples qu’elle colonisait. Et Plenel le dit : la colonisation a préparé le nazisme et l’extermination des juifs.
Nier l’autre
Jean-Paul Sartre, un des plus grands philosophes du 20e siècle écrivait en 1946 : « Le démocrate (ou plutôt le faux démocrate) est un faux ami des juifs. Ce faux démocrate ne connaît ni le Juif, ni l’Arabe, ni le Noir, ni le bourgeois, ni l’ouvrier. Ce faux démocrate ne connaît que l’homme en tout temps et en tout lieux pareil. » Ce faux démocrate ne voit donc pas les réalités sociales ni les hommes en tant qu’individus différents. Et pour Plenel, c’est ce que vivent, depuis longtemps, les musulmans dans nos sociétés.
Pour les faux démocrates, les musulmans doivent s’effacer, disparaître. Ces faux démocrates acceptent l’autre à la seule condition que cet autre ne soit plus lui-même. C’est nier aux musulmans leur diversité et leur pluralité. Contre cela, Plenel cite le grand poète Edouard Glissant : « Tu échanges, changeant avec l’autre sans pour autant te perdre ni te dénaturer. »
A défendre ainsi les musulmans, Edwy Plenel serait-il un religieux ? Pas du tout. Il le dit : il n’est pas croyant, il n’a aucune religion. Et pourtant, Edwy Plenel se trompe, il croit en une religion. La religion au premier sens du mot: la religion qui relie les hommes entre eux. La religion d’Edwy Plenel, c’est le vivre ensemble démocratique qui est tous les jours à inventer pour conquérir ensemble de nouveaux droits, pour avoir une vraie démocratie.
A lire
Edwy Plenel, Pour les musulmans, Edition La Découverte, 12 euros.
Un autre livre récent:
Pierre Tevanian, La haine de la religion, le nouvel opium du peuple de gauche, Edition La Découverte, 10 euros.
A voir la Conférence d’Edwy Plenel sur son livre