vendredi 29 mars 2024

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Amis et camarades au piquet

Une journée de grève, c’est quoi pour les travailleurs ? Ca dépend. Il y a les travailleurs qui ne se sont pas mis en grève et travaillent comme si de rien n’était. Certains auront même plus d’ardeur au travail que les autres jours pour compenser l’absence des collègues grévistes. D’autres sentiront un peu de mauvaise conscience de travailler un jour de grève. Et ils ne seront finalement pas très fiers… Et puis, il y toutes celles et tous ceux qui se sont mis en grève. Ils ne viennent pas travailler. Ils n’ont pas de salaire et reçoivent une indemnité de 30 euros de leur syndicat. Parmi ces travailleurs en grève, beaucoup restent chez eux. D’autres se donnent rendez-vous, dès l’aube, pour « faire piquet ». « Faire piquet », c’est se réunir devant une entreprise ou un magasin pour bloquer l’entrée et empêcher le travail. « Faire piquet », c’est donner à la grève, une valeur en plus, un plaisir aussi et même une saveur particulière.

5 heures 30
Le rendez-vous général des grévistes, même FGTB, est à la CSC. Les petits groupes se forment. Certains par entreprise, d’autres par connaissances, d’autres encore par hasard. Je suis dans un groupe avec René, retraité du chemin de fer, et son fils Olivier, conducteur de train. Il y a aussi Pierre, pensionné des ACEC. Et deux jeunes : François, un historien qui travaille dans le culturel et Sébastien, un éducateur. Bon, on n’est pas un groupe de gros bras mais on n’est pas des nunuches, non plus. On boit un café fort tout en saluant amis et camarades.

6 heures
On fait le tour des grands piquets de masse, qu’on juge incontournables, des visites de politesse en quelque sorte : aéroport de Gosselies, Caterpillar de Gosselies, Industeel à Charleroi. Un coucou aussi au dépôt de la SNCB à Châtelet. Ca, c’est histoire de se gonfler à bloc pour la journée.

7 heures 30
Notre premier piquet « à nous », c’est le FOREm de la rue de Montigny à Charleroi. Un chômeur pas content parce qu’il n’aura pas accès aux services, quelques employés qui doivent faire demi-tour devant notre piquet. Finalement, discussion avec la direction : on ferme la boîte pour la journée.

8 heures 30
On est dans le sud-vert de Charleroi, au centre commercial de Nalinnes-Bultia. On nous a demandé de faire piquet devant le Carrefour-Market. Des militantes sont déjà là, tout à l’air OK. On fait ralentir les voitures à l’entrée du rond-point pour distribuer des tracts et discuter avec les automobilistes. Les flics viennent nous dire deux ou trois mots pour prendre la température.

9 heures
On se rend compte que l’agence BNP-Paribas du centre commercial est ouverte. On entre, on exige la fermeture de la banque puis on fait piquet. Il y a quelques petites bousculades sans gravité avec les clients qui ne comprennent pas la grève et qui disent des trucs du genre : « Moi, Monsieur, je suis indépendant ! » ou encore « C’est de la dictature socialiste ». Bon, faut pas s’énerver et bien évaluer la situation. Ainsi, un client veut forcer notre petit piquet pour aller au self-banking de l’agence. Il s’énerve. Finalement, je le laisse entrer et je l’accompagne pour être sûr qu’il ne va pas entrer dans les bureaux de l’agence. Finalement, on discute avec le gars et sa femme, on apprend qu’il est dans les 1 400 personnes qui vont être licenciées de Caterpillar. On comprend son énervement, on se quitte en camarades.

9 heures 45
Le directeur de la banque arrive. On assiste à la réunion du personnel. On trouve un accord : l’agence ferme mais le directeur et un employé resteront dans la banque. Bon, on n’est pas des sauvages, on accepte le compromis.

10 heures
Encore une ou deux visites de politesse à différents piquets. Et puis François, l’historien, veut aller perturber les cours de son ancienne école, le Collège Saint-Augustin de Gerpinnes. Bon, aller faire peur au bourgeois, pourquoi pas ? On débarque là. La secrétaire fait le signe de croix en nous voyant arriver !!! On a des foulards rouges et des tracts c’est vrai, mais on n’est que huit… On entre dans le bureau de la directrice. Elle nous annonce qu’il y a trois grévistes pour tout son établissement, que chacun est libre de choisir, et blablabla et blablabla… On n’est pas là pour écouter son baratin, je monte le ton : « vous dites des fadaises, on n’est pas vos élèves ! » Mais à part ça qu’est-ce qu’on fait ? On va fermer le collège à 8… On n’a pas le temps d’appeler du renfort car on a rendez-vous devant la gare de Charleroi. On quitte notre directrice en lui certifiant que pour le jour de la grève générale du 15 décembre, elle pouvait déjà prévenir les parents de ses chères têtes blondes : il y aura un sérieux piquet devant l’école, les examens ne pourront pas se donner. Na !

11 heures
On a rendez-vous pour manger un bout devant la gare de Charleroi avec les syndiqués cheminots. Juste devant la gare, les syndiqués de la CSC. Plus loin, après les quais de bus, les syndiqués de la FGTB autour d’un barbecue. On discute en mangeant une saucisse. On nous indique un petit groupe, ce sont des travailleurs de l’entreprise BM&S. BM&S est une entreprise de nettoyage qui travaille pour la SNCB. En août, la direction a viré 5 personnes dont 2 délégués syndicaux. Les travailleurs demandent que les personnes licenciées soient à nouveau engagées. Ils sont en grève depuis…95 jours ! On avance timidement vers le petit groupe. On leur serre la main, on leur dit bravo, on leur dit notre solidarité. Et puis, presque rien, deux ou trois mots, le silence. Ces travailleurs sont en grève depuis plus de 3 mois. Et ce ne sont pas des héros, ce sont des gens comme vous et moi. Respect.

Bilan
Les plus courageux continuent l’après-midi. Moi je rentre. Et à chaque fois, je me dis : « C’est ça les piquets et les rencontres d’un jour de grève. Ce sont des actions et des discussions souvent modestes qui participent pourtant à la défense de nos acquis, de nos droits, de notre démocratie. »

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