vendredi 26 avril 2024

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L’actrice Adèle Haenel libère la parole

L’actrice française Adèle Haenel a déjà été récompensée 2 fois aux Césars du cinéma français. Elle devrait aussi recevoir un autre prix, le prix du courage et de l’engagement. En novembre 2019, à 30 ans, elle décide de révéler son histoire au public. Son histoire, c’est l’histoire d’une jeune fille qui, entre ses 12 et ses 15 ans, est victime d’attouchements sexuels et de harcèlement de la part du réalisateur Christophe Ruggia. Les faits remontent au début des années 2000. Adèle Haenel joue alors dans le film « Les Diables » de Christophe Ruggia.
Il lui aura fallu plus de 15 ans pour raconter son histoire à une journaliste et briser le silence. Dans son témoignage, Adèle Haenel parle de sa colère, de son désespoir et de sa « haine d’elle-même » suite à ces attouchements et ce harcèlement sexuels. Elle raconte « le désordre qui a régné dans sa vie » pendant de longues années. Elle a failli abandonner le cinéma. Puis, elle a fait des rencontres qui l’ont aidée à remonter la pente, qui lui ont « sauvé la vie ». Se reconstruire « est un cheminement très long », confie encore l’actrice.

« C’est une histoire publique »

Si Adèle Haenel a décidé de parler, c’est, entre autres, grâce à toutes ces femmes qui « ont parlé avant, dans le cadre des affaires MeToo. Lire aussi notre article Balance ton porc, c’est quoi en fait. « Ces femmes qui ont parlé m’ont fait changer de perspective sur ce que j’avais vécu, explique l’actrice. Je voudrais contribuer à ça et renvoyer ça dans l’espace public parce que ça peut vraiment libérer d’autres paroles. » Adèle Haenel brise le tabou. Elle ne le fait pas seulement pour elle-même. Elle le fait surtout pour les autres filles, les autres femmes, qui ont subi ou risquent de subir la même chose. Car aujourd’hui encore, une femme sur 5 est victime de violences sexuelles, bien souvent avant l’âge de 18 ans. Lire aussi notre article Dénoncer les violences faites aux filles
Comme le résume l’actrice: « Ce n’est pas seulement une histoire privée, c’est une histoire publique « . En témoignant, elle veut rappeler au monde ce qui est passé sous silence : les violences faites aux femmes, mais aussi la pédocriminalité, les abus sexuels sur enfants. Quelques semaines après Adèle Haenel, l’écrivaine Vanessa Springora en parlera aussi, dans son ouvrage « Le consentement ». Lire aussi notre article Un livre interdit d’autres livres. A travers leur récit, ces 2 femmes dénoncent les mécanismes d’emprise et l’abus de pouvoir qu’un homme a eu sur elles alors qu’elles étaient mineures. Comme l’explique Adèle Haenel : « Les agresseurs peuvent se raconter toute une histoire romantique au sujet d’un truc qui n’est pas du romantisme, qui est de l’oppression, qui broie la vie de tellement de femmes. Et le monde continue à fonctionner comme ça, sans problèmes, avec le silence des femmes depuis tellement de temps. »

Silence et complicité

Ce silence, Adèle Haenel en parle à plusieurs reprises. « Je ne peux pas accepter le silence, ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on doit porter la honte. » Elle veut « dénoncer le système de silence et de complicité qui rend cela possible, car le silence joue toujours en faveur des coupables ». Elle proteste : « Comment est-ce possible que ça arrive? Qu’avons-nous tous comme responsabilité collective pour que ça arrive? Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, c’est nos amis, nos pères… On n’est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer. Il faut passer par un moment où ils se regardent, par un moment où on se regarde. »

Société engagée

Ce qu’elle souhaite, c’est une « société engagée » : « C’est possible de faire autrement société. Et c’est bien pour tout le monde. C’est bien en premier lieu pour les victimes, mais c’est bien aussi pour les bourreaux pour qu’ils se regardent en face. C’est ça être humain. Ce n’est pas écraser et essayer d’obtenir du pouvoir. »
Et pour faire société autrement, il faut que tout le monde s’y mette. La journaliste de MediaPart qui a mené l’enquête autour du témoignage d’Adèle Haenel en parle elle aussi : « Le rôle des témoins est essentiel, on ne peut pas demander tout aux victimes. Les victimes, elles parlent et c’est la société qui n’entend pas. »

Face aux démentis

De son côté, le réalisateur Christophe Ruggia nie les faits. Ses avocats ont expliqué qu’il « réfutait catégoriquement avoir exercé un harcèlement quelconque ou toute espèce d’attouchement sur cette jeune fille alors mineure ». Face à ces démentis, Adèle Haenel répond : « Je suis choquée qu’il démente. Il faut reconnaître nos récits! Et je suis choquée qu’il dise qu’il m’a découverte (en tant qu’actrice), parce qu’il m’a surtout détruite! »
Après les révélations de l’actrice, la Société française des réalisateurs de films a décidé d’exclure Christophe Ruggia de ses membres. Plusieurs messages de soutien, provenant du monde du cinéma et de la culture, ont été adressés à Adèle Haenel.

Porter plainte ou non?

Dans un premier temps, Adèle Haenel a refusé d’abord de porter plainte contre Christophe Ruggia. Elle s’en explique : « Il y a tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer, soit dans les façons dont on va récupérer leur plainte, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et porter le regard sur elles. La faute, c’est elles… Comment elle s’est habillée? Qu’est-ce qu’elle a fait? Qu’est-ce qu’elle a dit? Qu’est-ce qu’elle a bu? (…) On dénigre leur parole… Quelle violence! »
Adèle Haenel va finalement changer d’avis et porter plainte. Elle espère obtenir une reconnaissance de son statut de victime, mais aussi que cette affaire participe à faire bouger le système judiciaire.

Des César agités

Quelques mois plus tard, début 2020, en pleine cérémonie des César, Adèle Haenel se lève et quitte la salle en criant « Quelle honte! » lorsque le film « J’accuse » de Roman Polanski reçoit un prix. Le réalisateur Roman Polanski est en effet accusé de viol par plusieurs femmes. Le lendemain des Césars, l’écrivaine Virginie Despentes publie dans le journal Libération une tribune percutante, intitulée « Désormais on se lève et on se barre » (à lire ici). En référence, mais aussi en hommage, à Adèle Haenel, cette actrice qui fait désormais partie des porte-flambeaux de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.

Voir l’interview d’Adèle Haenel sur MediaPart

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