Qu’allait donc faire un groupe d’une quinzaine de Carolosmot familier pour dire Carolorégien, un habitant de Charleroi, stagiaires
et formateurs en alphabétisation, au Théâtre royal de la
Monnaie à Bruxelles? Des provinciaux du pays noir à la capitale?
Ce n’est plus étonnant.
Des personnes impliquées dans l’alphabétisation visitantun temple de l’opéra? Voilà qui paraît plus étrange. Plus étrange en tous cas aux yeux de celles et ceux qui ignorent la politiqued’ouverture de la Monnaie. Pour la Monnaie, l’ouverture c’est, par exemple, développer des cours de chant dans des collectifs d’alphabétisation. C’est ce qui se fait le mercredi après-midi avec des stagiaires en alphabétisation à la FUNOCFormation pour l'université ouverte de Charleroi de Charleroi. L’ouverture?
C’est aussi, plus simplement, ouvrir les portes de la Monnaie pour une
visite de ce temple de l’opéra. L’opéra? L’art total dit-on : la voix bien sûr, mais aussi la musique, le théâtre, les décors, la mise en scène, la danse parfois… L’opéra? L’architecture totale: le marbre de son entrée et le grand escalier, le rouge de ses velours et l’or de ses décors… L’opéra? Une salle où les places désignent encore l’histoire sociale.
Les loges, aux riches et aux bourgeois. Juste sous le plafond, le poulailler
pour les gens du peuple, les «enfants du paradis».
Après la visite? Concert, courtoisement offert lui aussi par la Monnaie
: «La voix humaine», paroles de Cocteau, musique de Poulenc, une
chanteuse, un piano. Un drame amoureux. Une femme, debout au cornet d’un vieux téléphone à disque. L’amant, à l’autre bout du fil, on ne l’entend ni ne le voit jamais. Une voix de femme entre espoir et détresse d’une histoire d’amour qui finit… La voix est tantôt calme tantôt vive, douce ou cruelle, tendre ou brutale. Un chant que l’on pourrait dire haché, ponctué de cris, entre désespoir et jouissance. Cette «voix humaine» nous emporte même si nous avons depuis longtemps abandonné le lourd cornet du téléphone en bakélite pour l’oreillette du GSM.
En sortant du concert, la quinzaine de Carolosmot familier pour dire Carolorégien, un habitant de Charleroi est allée prendre une Kriek
sur la Grand’Place de la capitale. A la suggestion d’un stagiaire,
le groupe, guidé par leur formatrice de chant, a entonné quelques
couplets. Ils ont été applaudis par un couple assis à une
table voisine. Remerciement à la voix, sans lyrisme cette fois.