Laurent Fabius, fâcheux ou enthousiastepersonne enthousiaste: personne qui est très contente et qui le fait savoir.?— Photo: Belga

Il y a ceux qui ne sont jamais contents: les fâcheux.
Ils refusent les changements en trouvant, à chaque fois, une bonne excuse.
Il y a ceux qui sont toujours d’accord: les enthousiastes qui acceptent
tout au nom de l’avenir. L’Europe n’échappe pas à
la règle du monde “en noir et blanc”. La Constitution européenne
en est la preuve… démocratique!

Depuis, disons 30 ans, depuis les premières grandes avancées
de la construction européenne, il y a ceux qui voient l’Union européenne
toujours trop à droite, trop néolibérale, trop au service
des grandes entreprises et pas assez au service du public. Une Europe du marché.
Une Europe qui fait tout pour que l’on ne comprenne rien. Une Europe servie
par des bureaucrates, des technocrates et des experts en tout genre. Une Europe
avec des mots qui font peur rien qu’en les lisant. Ce sont les fâcheux.

Et puis il y a ceux qui disent mieux vaut une Union européenne
qui avance que rien du tout. Voyez l’Union d’aujourd’hui!
Vingt-cinq pays membres, plus de 450 millions d’habitants. Une seule monnaie
pour 12 Etats. Des aides aux paysans français, espagnols et même
polonais. De l’argent pour les régions en retard de développement
économique ou social: en Irlande, en Wallonie, dans le Sud de l’Italie,
… Une Union européenne où les marchandises, les capitaux et
les citoyens européens peuvent circuler librement. Une Union européenne
de la libre concurrencecompétition entre entreprises pour être le plus rentable et gagner des marchés profitable aux entreprises et aux consommateurs. Une
Union qui commence à compter au niveau mondial. Par exemple, ce mois
d’octobre, il y a le cinquième sommet Europe-Asie… Ce sont les
enthousiastes.

Vive la Constitution

Mais les fâcheux et les enthousiastes sont d’accord sur une chose:
il faut changer les règles de fonctionnement de l’Union. Le mode
d’emploi de l’Union européenne date, disons, de 50 ans. A
l’époque, il n’y avait que 6 pays. C’était plus
facile. Bien sûr, au cours du temps et avec l’arrivée de
nouveaux membres, on a changé certaines règles. Mais ce n’est
pas suffisant. Bref, fâcheux et enthousiastes se retrouvent sur cette
question: comment gouverner l’Union ?

Même question pour tous les responsables politiques européens,
pour les chefs d’Etat et de gouvernement de tous les pays membres. Avec
en plus, pour eux, une question existentielle: quelle sera l’influence
de mon pays dans les décisions européennes à 25 puis 27
puis 28 états membres? En 2002, ils ont signé un accord. Parce
qu’il fallait bien avancer… Car finalement, beaucoup de ces responsables
politiques trouvaient que c’était un mauvais accord.

Puis vient l’idée géniale de Constitution. Un ensemble
de règles et de lois fondamentales pour simplifier et clarifier le fonctionnement
de l’Union. On a même créé une Convention pour faire
un projet. Une Convention? Comme celle de Philadelphie qui a permis la création
des Etats-Unis d’Amérique! Ou, pour être plus européen,
comme celle qui a créé la République française.
Après de longs et difficiles débats, la Convention a remis un
projet de Constitution pour l’Union européenne. Les chefs d’Etat
et de gouvernement de l’Union l’ont examiné. Ils ont modifié
beaucoup de choses. Et ils vont la signer fin de ce mois. Ouf! On y est.

Enfin, presque… Car après signature, il doit y avoir ratification
dans les… deux ans!

Vive la démocratie

Chaque pays membre doit donner son accord soit c’est le parlement du
pays par un vote, soit c’est la population par un référendum.
En France, en Grande-Bretagne, en Espagne, par exemple, les citoyens choisiront.
Et l’on retrouve ici les fâcheux et les enthousiastes.

Les fâcheux ne veulent pas de cette Constitution: trop libérale,
trop à droite, etc. Et parmi eux, c’est ici que les choses se compliquent.
Un ancien enthousiaste, un dirigeant du PSParti socialiste français : Laurent Fabius.
Ancien Premier ministre socialiste, il représentait la rigueur
budgétaire, la fin du rêve de la gauche française au
début des années 1980. Il représentait le “oui”
au Traité de Maastricht. Cet accord européen qui organise, depuis
le début des années 1990, le grand marché, la libre concurrence
et la monnaie unique. Ce que les fâcheux appellent: l’Europe libérale
!

Avec sa tête de surdoué et d’éternel premier de la
classe, Laurent Fabius dit non à la Constitution européenne. Pourquoi?
Parce que, entre autres, elle ne permet pas de défendre vraiment les
services publics. Elle n’empêchera pas les délocalisations.
Elle verrouillera les budgets des Etats membres. Bref, cette Constitution n’est
pas assez sociale ! D’un coup, tout le monde se rend compte de ce qui
avait toujours été dit : cette Constitution n’est pas une
constitution. C’est un Traité constitutionnel. Au-delà des
règles de gouvernement, il y a des règles de budget pour les Etats
membres, des règles économiques ( “ économie sociale
de marché “), etc.

Dans son “non” à la Constitution, M. Fabius a peut-être
tort. Il a peut-être raison. Son “non”, dans tous les cas,
a servi une cause : celle du débat. Et du débat démocratique
où se retrouvent fâcheux et enthousiastes. La démocratie,
valeur affirmée plus que jamais dans le projet de Constitution de l’Union
européenne. Pardon: dans le projet de Traité constitutionnel…

Thierry Verhoeven