J’étais parti pour faire une interview de syndicalistes sans emploi qui allaient manifester à Liège contre la politique du gouvernement. Une interview ? Tu parles ! Au bout de quelques minutes, j’abandonne mes questions et on fait la conversation. On ne refait pas le monde mais on fait un tour du monde en 80 minutes avec Freddy, Pipo, Jacques et les autres… La conversation est d’abord sérieuse. « Combien serons-nous à Liège ? Plus qu’à Charleroi ? » Rappel : à Charleroi, le 23 octobre, une « Marche des solidarités » avaient réuni dix mille personnes.
Des TSE
La contrôleuse du train passe : « La manifestation soutient les services publics donc on ne paie pas ! » disent-ils… D’ailleurs, elle ne contrôle les tickets d’aucun militant syndical. De toute façon, ils ont leur ticket aller-retour Charleroi-Liège, payé « par le syndicat ». Ce sont des « TSE », comme on dit dans le langage syndical : Travailleurs sans emploi : simples chômeuses et chômeurs, bénéficiaires du CPASCentre public d'action sociale, prépensionnés, … Certains ont une longue expérience de travail, de délégué syndical d’entreprise, d’autres pas. Devenus TSE, ils défendent les droits des sans travail et montrent aussi leur solidarité quand il y a un combat syndical.
Ils sont choqués par des déclarations de ministres sur les chômeurs: « Les chômeurs, des profiteurs? Y’en a toujours eu des profiteurs, partout, pas seulement chez les chômeurs ! Et dans les années 1970, on parlait des femmes de médecin qui étaient au chômage. Elles allaient pointer en Mercedes et avec un manteau de fourrure.» Le souvenir de cette rumeur absurde les fait rire.
Pauvreté
Puis, on parle d’aujourd’hui, de la pauvreté, d’un ami qui est éducateur de rue à Charleroi. Il poste tous les jours sur facebook des photos des SDF qui dorment dehors : « C’est inacceptable pour une ville comme Charleroi. Il y au eu 24 morts en 2017, on en a parlé à la commémorationCérémonie officielle pour rappeler un événement, une date importante de l'histoire des morts de la rue. Mais il n’y avait pas de pouvoir politique. Si,il y avait l’échevin compétent , dit un autre. Echevin? c’est la dernière syllabe qui compte », dit Freddy en riant. Il explique (pour en remettre un peu) : « C’est un jeu de mot : vin, vainInutile.»
La conversation roule alors sur la ville de Charleroi. La rue de la Montagne qui est devenue sinistre. Tous les magasins fermés ou presque, les étages abandonnés depuis des années et devenus insalubres. Tout ça à cause de la crise bien sûr, mais aussi des centres commerciaux…
Réfugiés
On parle des policiers intervenus à Bruxelles contre des réfugiés qui voulaient squatter un logement vide. Ils avaient eu l’autorisation, mais il y a eu un malentendu : « Les flics sont arrivés et ont tout de suite violents. » On a vu dans les journaux la photo d’un réfugié qui avait reçu une balle plastique. Freddy, ancien sidérurgiste, raconte que dans une manifestation pour l’Europe sociale à Strasbourg, il en avait reçu une à 10 mètres : « Tu le sens, faut pas demander le pauv’gars réfugié qui l’a reçue presque à bout portant.»
Conditions de travail
On parle aussi des conditions de travail dans les entreprises : « C’est de plus en plus dur, même dans les grosses, faut aller voir alors les conditions dans les petites boîtes, les sous-traitants. » Et les accidents de travail ! On évoque l’explosion de la veille dans une usine sidérurgique à Gand : un mort et 2 blessés graves. Puis d’autres accidents et surtout la catastrophe du charbonnage du Cazier à Marcinelle en 1956 (232 mineurs sont morts dans l’incendie du puits de mine) : « Les cadres et les directeurs n’ont pas été condamnés par la justice alors qu’ils savaient qu’il y avait danger. »
Pas de hasard
Dans les souvenirs, il y a aussi Thatcher et Reagan et le début du néolibéralismePensée économique qui veut limiter le rôle de l'Etat, favoriser les entreprises privées, déréglementer le marché, les protections sociales et collectives. Le néolibéralisme domine la politique des pays occidentaux depuis les années 1980. des années 80. Freddy toujours amusé et amusant: « Je me souviens d’un responsable syndical venu nous expliquer la flexibilitéSouplesse d'organisation pour adapter l'entreprise aux évolutions du marché. A cause de la flexibilité, les salariés ont souvent de moins bonnes conditions de travail et moins de protection., c’était le début. Il nous disait : là et là, on a mis des verrous pour empêcher trop de flexibilité. Ce qu’il ne nous avait pas dit : c’est que ce sont les patrons qui avaient les clés des verrous… »
Et on parle des mesures du gouvernement actuel . Pour Freddy: « En politique, il n’y a pas de hasard.» Il me dit, pour la dixième fois au moins depuis le départ du train, toujours avec le même petit sourire: « Note ça, le journaliste. » J’ai noté. On arrive à Liège, on a fait le « tour du monde » en 80 minutes de trajet. Et, on se dit : une telle conversation avec des militantspersonnes qui s'engagent et qui agissent pour défendre une idée, une cause. syndicaux, non, il n’y a pas de hasard.
Pipo, Freddy, Jacques et les autres, ils portent la banderole des Travailleurs sans emploi wallons