Ce 8 septembre 2016, c’était le 50e anniversaire de la journée internationale pour l’alphabétisationenseignement des bases de la lecture, de l'écriture, des mathématiques. Un peu partout dans le monde, des personnes, des associations, des organisations, des pouvoirs publicsL'Etat, le gouvernement, les administrations en tous genres « fêtent » cette journée. Une journée internationale montre que l’alphabétisation est un droit humain, fondamentaltrès important, de base, universel. L’alphabétisation permet une vie meilleure pour les personnes et les familles et une société meilleure parce plus juste. Mais mettons des guillemets à « fêter ». Car aujourd’hui en Belgique, le tableau est plutôt noir.
Au moins 1 adulte sur 10 est analphabète. Rien que pour la partie francophone du pays, il y a plus de 16 500 personnes en formation d’alphabétisation. Ces apprenants en alphabétisation n’ont pas la vie facile. Les associations qui travaillent sur le terrain non plus. On en a parlé à Charleroi lors d’une matinée de réflexion organisée par Lire et Ecrire. Des apprenants en alphabétisation « belges » et « étrangers », des formateurs, des directeurs d’associations, des universitaires ont discuté des réalités de l’alpha aujourd’hui. Des débats et un appel aux politiques pour ne pas se contenter des constats. Lors de cette matinée, les unes, les uns et les autres ont dit à peu près ceci…
Le tableau noir
Les pouvoirs publics obligent tous les demandeuses et demandeurs d’emploi à respecter de plus en plus de règles. Ils ont de plus en plus de devoirs et ils ont de moins en moins de droits. Ils doivent entre autres s’engager à se former, à chercher de l’emploi, à signer des contrats d’insertion socioprofessionnelle. Des contrats qui imposent des contraintes parfois absurdes. La personne demandeuse d’emploi ou de formation n’a pas le choix face aux grosses administrations comme l’ONEmabréviation de l'Office national de l'Emploi, le FOREm ou le CPASCentre public d'action sociale. Elle est de plus en plus contrôlée, menacée de sanctions et inondée de paperasses.
Pour la personne analphabète, la situation est pire encore. Car comment peut-elle s’y retrouver face à tous ces formulaires et ces documents écrits qu’elle doit remplir ? Elle arrive à suivre une formation, elle en sort motivée. Mais quelle chance a-t-elle de trouver un emploi ? On sait qu’il n’y a pas d’emplois pour toutes et tous aujourd’hui. Et encore moins pour les personnes peu qualifiées…
Pourquoi ? Parce qu’il y a un mensonge d’État : il n’y a pas d’emploi pour tous, encore moins pour les peu qualifiés, mais on fait « comme si ». Alors on demande à la personne demandeuse d’emploi de se bouger, de « s’activer », de se former, de chercher un emploi. C’est la condition pour recevoir ce qui est pourtant souvent une allocation ou une aide sociale minimum qui permet à peine de vivre. Les administrations en tous genres contrôlent de plus en plus et punissent : moins d’allocations ou plus du tout d’allocations ! Les administrations disent qu’elles veulent rendre la personne « responsable. » En réalité, elles rendent la personne « coupable ». Alors qu’elle n’est pas coupable. Elle n’est pas coupable si l’école ne lui a pas appris les langages fondamentaux : la lecture, l’écriture, des mathématiques de base. Elle n’est pas coupable si les accidents de la vie l’ont empêché d’apprendre. Alors qu’elle veut se former, elle n’est pas coupable si les associations qui font de l’alphabétisation n’ont pas assez de moyens. Elle n’est pas coupable s’il n’y a pas assez d’emplois. Elle n’est pas coupable si les associations qui font de l’alphabétisation n’ont pas assez de moyens. Alors que faire ?
Pour une vie en rose
Affirmer et revendiquerréclamer avec force, réclamer comme un droit. Affirmer ? Oui en disant que les associations qui font de l’alphabétisation dépensent de plus en plus de temps et d’énergie à faire des rapports pour justifier leur travail auprès des pouvoirs qui leur donnent des subsides. Du temps et de l’énergie qu’ils pourraient dépenser sur le terrain. Oui en disant que ces associations préparent à l’insertion socioprofessionnelle, mais n’oublient pas de former leurs apprenants à exercer leurs droits de citoyen, à favoriser leur émancipation sociale. Oui en disant que les pouvoirs publics doivent faire plus et mieux.
C’est écrit : « la formation est un droit pour tous ». En réalité, pour beaucoup et particulièrement pour les personnes peu qualifiées, ce n’est pas vrai. Il n’y a pas assez de lieux d’alphabétisation. Il n’y a pas assez de crèches pour le parent qui ne sait pas faire garder son enfant. Il faut plus temps à l’apprenant pour faire son parcours, pour avoir la liberté de choix et plus de temps aux associations pour l’accompagner.
Revendiquer ? Oui en reprenant ce qui est dit dans le paragraphe précédent et en le transformant en demandes. Facile à dire ? Peut-être, mais par exemple, cette proposition simple : pourquoi ne pas consacrer une partie des moyens mis dans les administrations pour contrôler de plus en plus les peu qualifiés dans la formation en alphabétisation et dans un vrai accompagnement ? Autre proposition simple : réduire collectivement le temps de travail. Travailler 35 ou 32 heures par semaine pour créer de l’emploi, pour permettre aux travailleurs qui le veulent de se former pour mieux s’épanouir dans leur travail, dans leurs loisirs, dans leur vie. On peut rêver…
Voilà, c’est un peu tout ça qui s’est dit, ce 8 septembre, à Charleroi. Un débat, un dialogue entre universitaires, responsables d’associations, formateurs en alphabétisation, en insertion socioprofessionnelle et apprenants en alphabétisation. Une modeste, mais belle leçon de démocratie pour toutes et tous, analphabètes ou non. Et avec sa nouvelle campagne « Rosa, la vie en rose », Lire et Ecrire croit en l’utopieidée qui ne semble pas réalisable.
La vidéo de la campagne. Dans cette vidéo, Lire et Ecrire montre le parcours d’une jeune femme qui veut se former et faire un métier qui lui plaît. Un rêve qui pourrait un jour devenir réalité ?