Lydia, rédactrice en chef de L’Essentiel
En 1968, j’étais une gamine. J’avais tout juste 10 ans puisque je suis née au joli mois de mai. Cette année-là, comme tous les ans, mon école primaire organisait une excursion juste avant les examens. Et la destination de cette année-là était… Paris. Paris en mai 68 donc.
Paris bougeait déjà pas mal au moment où l’excursion était prévue. Et je sais que la directrice de l’école a un peu hésité mais elle a finalement décidé de maintenir l’excursion prévue. Même pas peur, la directrice! Et les parents n’ont pas protesté, ce qui en dit long sur l’époque.
Et c’est ainsi qu’un car d’écoliers belges, accompagnés de leurs instituteurs et parents a sillonné, un beau jour de mai 68, les rues de Paris. Une situation un peu surréaliste, non? Qu’est ce que l’enfant que j’étais a perçu de 68?
D’abord, j’avais trouvé étrange ces rues dépavées et le nombre de policiers présents en rue.
Mais il y a eu ensuite un incident assez éclairant sur l’esprit qui régnait à cette époque.
Nous sommes tous entrés à midi dans un bistrot pour y prendre un sandwich.
L’unique serveur du café était un peu débordé et courait dans tous les sens. Il était en nage. C’est alors que le patron est arrivé. Il a tout de suite commencé à faire des reproches à son serveur, à l’humilier en public et à voix haute.
Et le serveur, au lieu de s’écraser, ne s’est pas laissé faire. Il a lui aussi haussé le ton. De plus en plus. Jusqu’au moment où il a enlevé son tablier. Et il l’a lancé à la figure de son patron en hurlant qu’il se cassait, qu’il n’en avait plus rien à faire de ce boulot de m… C’était incroyable pour l’époque. Mon père, qui m’accompagnait évoquait en riant cet incident et l’audace du serveur des années plus tard…
« Cette révolte contre l’ordre établi, ce refus de courber l’échine face à l’injustice, c’est pour moi encore aujourd’hui, l’esprit de 68. Et c’est cet esprit-là, qu’enfant j’ai senti vibrer, ce jour-là, dans un café de Paris. »
Martine: Regarder le monde du travail comme une force vive (témoignage sur le site de Mediapart)
Martine Fuger avait 15 ans en 1968. Elle habitait dans les Vosges en France. Elle témoigne :
« En 1968, j’avais 15 ans et j’étudiais au collège public de la ville. Je me revois apporter le café aux grévistes devant la porte de l’usine où travaillaient ma mère et mes frères et sœurs. (…) J’en voulais à l’usine de la vie que menaient tous les ouvriers et ouvrières. Je détestais l’usine.(…)
À cette époque, j’étais très proche d’une famille de militantspersonnes qui s'engagent et qui agissent pour défendre une idée, une cause. chrétiens. J’étais copine avec leur fille aînée. Je me sentais très bien avec eux. Avec eux, je suis allée aussi plusieurs fois dans la ville voisine pour des conférences politiques. Je me souviens de rencontres bien animées, de joie, de bruit etc. C’était entrevoir la libération, une autre vie.
« 1968 a été pour moi, adolescente, une ouverture. Une ouverture à autre chose que la fatalité de l’usine après l’école. »
Cela a été aussi le début de ma vie militante, mon entrée dans la vie adulte et dans un choix. (…) 1968 a été un mouvement de solidarité qui m’a par la suite fait regarder le monde du travail comme pouvant être une force vive pour la société .»
Danielle : « Ma vie aurait été tout autre sans cette « révolution » (témoignage sur le site de Mediapart)
Danielle avait 15 ans en 1968, elle était dans un lycée technique à Paris. Elle témoigne:
« En Mai 68, j’avais 15 ans et demi, j’étais en 2e technique au lycée et j’habitais Paris, dans le 13e arrondissement. Nous allions à notre lycée en grève tous les jours discuter entre nous et avec nos profs et voir les garçons de la section sérigraphie d’à côté faire des affiches. Les gens discutaient partout dans les rues comme si la parole s’était libérée d’un coup. Je me souviens avoir fait partie des premiers délégués au conseil d’administration.
« Issue d’un milieu très modeste, ce qui explique mon orientation vers le technique, cette époque m’a permis d’apprendre, de réfléchir et de préparer par la suite des études supérieures. »
J’ai eu un diplôme d’études supérieures de psychologie tout en travaillant pour vivre. Cela m’a beaucoup apporté. (…)
Par souci de sécurité je n’avais pas le droit de participer aux manifs, ni d’aller à la Sorbonne suivre les discussions mais mon voisin Éric, plus âgé que moi, me racontait ce qui se passait en rentrant le soir… Je l’attendais à ma fenêtre, d’où j’entendais les bruits d’explosion au Quartier latin.
C’est en 1968 que j’ai commencé à m’intéresser à la politique.
Je lisais Le Monde tous les jours et suivais beaucoup les interventions de Daniel Cohn-Bendit (dont je reste encore, et surtout aujourd’hui, proche par les idées). Plus tard j’ai participé avec des copines à la vente des premiers numéros de Libération.
J’ai continué à m’engager dans le monde associatif et militantpersonnes qui s'engagent et qui agissent pour défendre une idée, une cause.. Mai 68 est un tournant dans ma vie, un bouleversement : ma vie aurait été tout autre sans cette « révolution »
Pierre: la première prise de parole devant une foule (témoignage sur le site de Mediapart)
Pierre Héricher, 23 ans en 1968, typographe, dan la ville de Fécamp en France. Il témoigne :
« 1968 : j’ai 23 ans, je travaille comme typographe dans une petite imprimerie à Fécamp, ville de 21 000 habitants. Je suis secrétaire local du syndicat CFDT depuis peu. Mes souvenirs les plus marquants : une manifestation à Fécamp à laquelle participeront environ 2 000 personnes, et ma première prise de parole devant la foule; l’organisation de piquets de grèveun piquet de grève: groupe de travailleurs en grève qui bloque l'entrée d'une usine ou d'un magasin pour empêcher de travailler. et de délégations aux portes des entreprises pour entraîner les travailleurs qui ne l’avaient pas encore fait à rejoindre le mouvement. Des travailleurs enthousiastes et convaincus et d’autres avec la peur de perdre leur emploi. (…)
Je me souviens aussi des distributions de bons d’alimentation aux grévistes les plus démunis (…) Difficulté aussi à faire passer nos idées pour l’autogestion à l’époque. Idée dont on n’entend pas parler aujourd’hui, mais qui pour moi était un élément fort du mouvement :
« 1968, c’était l’appel à la responsabilité de tous dans une société plus juste. »